Cellule 6-1, a « Ghost Story »

Il est de ces histoires dont on ne sait pas très bien si elles sont ou non réellement arrivées. Ce genre d'aventures que l'on raconte un soir de pleine lune à une assistance pétrifiée. Mais je peux vous assurer que ce récit et les événements que j'y décris ont semé un grand trouble dans mon âme, déjà peu encline à la sérénité.

 

Mon histoire commence alors que je me rendais à Ottawa, capitale du Canada, lors de mon premier tour du monde en solitaire. J'arrivai alors à la fin de mon voyage. Le moral à la fois las de mes turpitudes nomades et de l'appréhension d'un retour en France tout proche. Comme à chaque arrivée dans une ville nouvelle, je me mis en quête d'une auberge bon marché. La seule disponible au cœur de cette charmante cité était située dans une ancienne prison, au 75 Nicholas Street. D'abord amusé du décor plus que pittoresque des locaux laissés intacts, je me mis rapidement à ressentir une gêne, un sentiment malsain de culpabilité. Il faut dire que passer du bon temps dans un endroit où même les murs respirent la souffrance humaine n'est pas fait pour calmer les doutes d'un esprit déjà torturé.

 

Je pris les clés de ma cellule à un réceptionniste somnolant. La nuit était déjà bien avancée, ce qui donnait à la bâtisse un aspect d'autant plus lugubre. Je pris mes draps et mon courage à deux mains afin de me rendre dans le dortoir qui m'avait été assigné. L'escalier central, avec ses grilles anti-suicides faisait froid dans le dos. Arrivé devant la lourde et étroite porte en barreaux noirs de la chambre, un doute affreux me saisit à la gorge. Et si j'étais réellement enfermé dans cet endroit sinistre ? Mais les sacs de voyages de mes nouveaux "room-mates" qui gisaient sur le sol me rassurèrent quant à la courte durée de mon séjour entre ces murs.

 

Une envie pressante m'obligea à me lever au milieu de la nuit, j'allai donc soulager ce besoin dans les pissotières les plus proches. Me voilà déambulant seul dans ce long couloir à peine éclairé. La disposition des plafonds en voute des cellules répercutaient les fortes respirations des pensionnaires endormis et je ne demandai pas mon reste pour filer aux toilettes. Alors que je me soulageai, j'entendis la porte s'ouvrir derrière moi. Je sentis un souffle d'air frais me frôler. Une lame de frissons me parcouru l'échine. Un touriste abruti de sommeil aurait eu lui aussi une envie pressante et se serait précipité dans la cabine du fond. Du moins le pensai-je. Car à peine eus-je eut fini que je jetai un oeil discret en direction des toilettes. La porte était ouverte et la pièce... vide.

 

Le lendemain, en début de soirée, alors que je regagnais ma chambre exténué de ma visite du jour, je croisai le chemin d'une femme massive encapuchonnée dans une grande cape noire, une lanterne à la main. Ce n'est qu'en voyant le groupe de touriste qui la suivait que ma stupeur se dissipa. L'hôtel organisait des visites des lieux et le déguisement de la guide donnait le ton.

 

Bien plus tard dans la soirée, je me rendis dans la cour de promenade de la prison, réhabilitée en terrasse de bar. Malgré l'heure tardive et la pluie fine, des personnes étaient encore présentes, sirotant leur bière. Je m'installai à l'abri, sous le porche d'entrée. A peine eus-je allumé ma cigarette qu'un homme filiforme, les joues creuses et le regard pâle s'approcha de moi.

« Dans quelle cellule êtes-vous ? » me demanda-t-il avec un étrange accent britannique. Son allure élégante et son costume d'un autre temps me firent penser qu'il travaillait lui aussi pour l'hôtel. Nous eûmes alors une étrange conversation, dont voici la transcription :

 

_Je suis dans la cellule 6-1, lui répondis-je, et vous, vous travaillez pour le Tour ?

_Grand Dieu, non. Mais je leur donne un coup de main de temps en temps. Cellule 6-1 dites-vous ? J'ai un ami en 6-1. Faites vous confiance à vos amis ? Osa-t-il de manière mal assurée.

_Euh... je vous répondrais que les femmes m'ont appris à ne faire confiance à personne.

_Les femmes c'est un fait, mais vos amis ?

_Le fait que je voyage seul doit répondre à votre question.

_J'ai fait confiance à un ami une fois. Maintenant je suis bloqué ici.

_à Ottawa vous voulez dire ?

_Ottawa... oui. S'efforça-t-il de dire laconiquement en levant les yeux.

_Vous buvez quelque chose ? Je vais prendre une bière avant que le bar ferme. Lui proposai-je.

_Vous êtes bien aimable. Mais non merci.

 

Quand je revins, ma pinte à la main, l'homme avait disparu.

 

Une fois de plus je me couchai tard. Je m'étais étrangement habitué aux couloirs vides et froids et je regagnais ma cellule sans appréhension aucune. J'occupais dans le dortoir un lit du haut. Tous les autres lits étaient pris, leurs occupants ronflant à pleines narines. Tous, sauf celui en-dessous du mien qui était vide. N'y prêtant pas attention je m'écroulai de fatigue.

 

Au milieu de la nuit un frottement à peine audible mais répété avec insistance vint me tirer de mon sommeil. Un bruit métallique, qui raisonnait dans la cellule. Je ne sais aujourd'hui si c'était mon imagination qui amplifiait le son, mais je finis par n'entendre plus que ça. L'obscurité m'empêchait de discerner quoi que ce soit et je me rassurais en me disant que ce devait être mon voisin du dessous qui était rentré ivre et faisait une insomnie, ou un problème de tuyauterie ou je ne sais encore quelle autre explication rationnelle. La vérité, c'est que j'étais mort de peur.

 

La porte de la cellule s'ouvrit soudainement. Je serrai la couverture contre moi. Dans l’embrasure, je discernais la silhouette d'un homme immobile. Il était tourné vers l'extérieur, je devinais à peine son dos. J'entendis des chuchotements qui semblaient venir des cellules voisines, comme si tout l'étage était réveillé et commentait quelque chose à voix basse.

 

L'homme s'avança dehors. Sans réfléchir, je le suivis. Non par témérité, mais par curiosité. Dans certains moments d'égarement, cette dernière se révèle parfois plus forte que la terreur elle-même. Il semblait être somnambule et maintenant qu'il marchait dans le couloir, je voyais clairement qu'il s'agissait du touriste allemand qui occupait habituellement le lit du dessous. Amusé par sa démarche de mort vivant, je voulais savoir où le hasard de ses pas allait le mener. Je ne fis presque pas attention au silence qui avait envahi l'étage. Personne n'était éveillé et les ronflements allaient bon train.

 

Il prit une porte puis un escalier de service et grimpa d'un étage. Là, un couloir avec trois cellules individuelles étaient inoccupées. Au fond, une autre porte, il y entra. Je m'y risquai à mon tour. La scène que je découvris alors me traumatise aujourd'hui encore.

 

Le somnambule se tenait près d'une grande fenêtre. Au-dessus de sa tête, une corde de pendu. Derrière lui, un autre homme, raide comme un piquet. Il tenait dans sa main un levier. A peine eus-je compris à quoi il servait que l'homme l'actionna. La trappe sous les pieds de l'Allemand s'ouvrit brusquement et le touriste disparut dans le sol pour atterrir une douzaine de mètres plus bas dans un craquement sinistre. J'entendis les clients présents dans la cour se précipiter, les secours ne tarderaient pas. Le « bourreau » tourna la tête vers moi, sans que je puisse toutefois distinguer son visage. Il me dit ces mots de manière détachée : « Je ne saurais trop vous conseiller de regagner votre cellule, prisonnier. »

 

Je détallai comme un lapin. Arrivé dans ma chambre, je constatai que quelqu'un avait gravé sur le mur le mot : "Trust". Je ne pus m'empêcher de faire le rapprochement avec le frottement par lequel tout avait commencé. Le lendemain la police interrogea tout l'hôtel et je me cachais bien de dire tout ce que j'avais vu. Ils conclurent à un accident, un touriste ivre de plus ayant joué là où il ne fallait pas.

 

C'est en quittant l'hôtel que je remarquai les photos des trois prisonniers exécutés dans l'enceinte de la prison. Je partis bouleversé quand j'eus pris conscience que j'avais eu une conversation avec l'un d'entre eux.

Publié dans Autofiction

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